Troisième extrait de l’Apocalypse de Jonathan

 » Je mets de la musique, et bientôt le son qui vibre en moi et le long de la membrane des murs me soulève, fait jaillir mes sens. L’alchimie entre la technologie et l’acoustique, la frénésie et l’accalmie, je m’écoute. J’éteins les lumières. Je me sens bien. Parmi les ombres, je deviens enfin pur, plus de corps ni de fluides, de dégradation, de saletés ni d’écoulements, l’esprit est sauf. Je me sens respirer. Je me pelotonne dans la pénombre, un sarcophage tiède d’obscurité amie. Je suis vivant et à l’abri du monde qui tape contre la fenêtre. Il veut que je quitte la lune. C’est ce qu’ils veulent tous. Je me ressers un whisky. Une à une fanent mes inhibitions pour un autre état de conscience, alerte et accompli. Je m’allonge sur le carrelage de la cuisine. Le noir et le froid. Tout s’immobilise, je perçois la tessiture de mon nid, chaque atome, l’essentiel. Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi, à écouter mes pulsations, à courir après ma vie fœtale, à imaginer l’état de mort parfaite. Personne ne sait ce que je fais, je suis libre, enfin. Tout est calme, la musique me parvient de loin. Un instant mon univers me paraît gigantesque grâce à tous les cœurs battant à l’unisson dans la nuit. Je me dis que l’art, c’est d’avoir une vision personnelle. Un œil, là, tout à l’intérieur. La virtuosité de la pensée que traduit le corps. Être artiste, c’est être honnête. Il peut y avoir tant de paix, tant de sérénité… Je suis un artiste.

Mentir. « 

Samuel Dock

Deuxième extrait de l’Apocalypse de Jonathan

« C’est bien la tragédie de l’apocalypse. C’est la rupture des secondes chances sur lesquelles nous comptions tous pour nous retrouver, pour qu’il vienne enfin, pour oser lui parler, trouver le courage, avoir des idées, un monde en paix, pour réécrire ou pardonner, pour nous faire pardonner. Il n’y aura plus de futur auquel adresser tant nos prières que nos ténèbres, tout sera clair et nous regretterons l’obscurité, cet autre qui y restait sans cesse à discerner. Plus de nuits pour nous porter conseil, ce sera la dernière, plus de journées où compenser la veille. Ce qui n’est pas fait ne le sera jamais, nous pouvons faire le total des remords ou des regrets et même le défaire, lui-même ne sert à rien, ce n’est qu’une chose d’humain. L’apocalypse n’est que la parfaite, la magistrale et surtout définitive élimination des potentialités. Bien sûr, nous pourrons penser aux bonheurs que nous aurons eus, aux amours et aux plages ensoleillées, à la chance de ne pas être né aveugle ou handicapé. L’apocalypse révélera assez tôt nos vices et nos démences, tout ce que l’on souhaite aux autres plutôt qu’à soi. Mais à la fin des fins, nous envierons les morts et grincerons des dents. Nous jalouserons ceux qui ont eu la chance de trépasser convaincus que toujours d’autres leurs survivraient et se rappelleraient d’eux, convaincus que d’autres ressentiraient la même émotion face à un coucher de soleil ou une aube étoilée. « Que nous sommes petits » se diront-ils à leur tour. L’histoire continue, ainsi va la vie, mais l’apocalypse n’est pas tant la mort que son abstraction. Les mourants ont au moins cette satisfaction de se dire qu’ils libèrent de la place, qu’ils ont eu leur chance et ce qu’ils méritaient, le mieux qu’ils pouvaient est imprimé en eux et ils font éclore leur propre paradis de sanctification en fermant les yeux. Pauvre morts, décédés sans savoir que la mémoire qu’ils convoyaient au tombeau, l’apocalypse viendra aussi là-bas la chercher. Toute l’humanité, de l’homme de Neandertal jusqu’à l’informaticien, du pharaon au boulanger, toute l’humanité devait un jour y être confrontée et la mort même n’est plus un refuge à la néantisation. Les morts attendaient qu’on vienne les prendre, en dormant d’une singulière manière. Ils seront juste plus faciles à transporter, la poussière est déjà poussière, il n’y a qu’à les disperser dans les airs pour un sol neuf et sec, sans légataires pour tout ce qui a été dit et ce qui ne le sera jamais. « 

Samuel Dock

Premier extrait de l’Apocalypse de Jonathan.

« Le scénario est prototypique, les pères sont improvisés, ils rêvent à eux-mêmes et ne tolèrent pas un réveil en forme d’échec, ils veulent être des hommes alors ils partent sans cesse, sont des essaims qui geignent de se voir pleurer. Nous n’étions pas attendus, il nous le répéta souvent mais seul moi pus l’entendre, comprendre les diverses implications d’un tel propos qu’il soit vil prétexte ou honnête ressenti. Lionne s’embellit encore pour lui quand je présume qu’il a dû refaire sa vie, supprimer l’importune de son écran intérieur comme il l’a toujours fait. Nous étions les témoins d’une perte : de temps pour lui, de la liberté de l’irresponsabilité, d’une alternative avortée, toujours plus et mieux. Désirés ou pas, j’imagine que nous sommes tous là par hasard. Nos parents nous confectionnent des corps périssables, certains d’entre nous se vengeront et s’acharneront à poursuivre le cycle corrompu, à faire moins de place sur la planète, à prier que l’être nécessairement complémentaire fera mieux. Ils espèrent alors qu’il est encore un minuscule morceau de chair, qu’il révolutionnera son petit concept ou trouvera au moins une utilité quelconque, pauvre créature sans conscience mais déjà redevable. Juste quelques mois de paix. J’aimerais ne pas avoir à porter le poids des générations pourrissantes qui m’ont précédé. Petite sœur, les destructeurs ce sont toujours eux. Être l’unique représentant d’une espèce inconnue. Je flotterais dans l’espace, en rêvant à d’autres mondes. »

Samuel Dock