Nouvelles du couple. « Les romantiques » par Hafid Aggoune. Extrait.

Un jour, il n’était plus seul.

 Jusqu’à elle, la solitude avait creusé son long et profond sillon, s’inscrustant au plus loin de son être, s’installant comme une partie intégrante de son corps, de ses pensées, de ses désirs, de ses peurs aussi, ses démons intérieurs.

Elle est arrivée dans sa vie virevoltant parmi la multitude, brassée avec lui au coeur d’une petite foule agglutinée dans un grand appartement, l’année de ses trente ans. Jusqu’à elle, il n’avait pas su aimer comme on l’aurait souhaité.

 Longtemps, il a parcouru la vie, effleuré les êtres croisés, un temps, avant de s’envoler vers cet ailleurs qui l’appelait sans dire son nom, mirage intérieur qu’il suivait pourtant aveuglement. Il a marché, couru, fui, déménagé, s’est expatrié dans une Venise offerte à lui seul chaque nuit, s’est isolé, heureux et triste avec ses livres, ses écrivains, sa forteresse. Le Sud, Venise, Paris, le Sud à nouveau puis Paris jusqu’à elle, son nouveau pays.

 Ce fameux jour d’hiver, elle était là, naturelle, simple et belle, la peau couleur de miel après un mois à travailler au coeur de l’océan indien, en désamour elle aussi.

 Dans son souvenir, il n’avait pas voulu se rendre à cette soirée, n’y connaissant que l’ami qui l’y invitait, avec qui il arriva pourtant pull noir et mal rasé sans intention de séduire, un treize janvier (leur date désormais), sans doute le jour le plus froid de cet hiver-là, un froid sec, qui vous rentre sous les ongles, violent, coupant comme la flèche de Cupidon vous lacérant de bonheur les entrailles.

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Hafid Aggoune, par Brigitte Lo Cicéro

Hafid Aggoune est né à Saint-Etienne en 1973. Après son bac, il quitte sa ville natale pour vivre à Lyon, finance des études supérieures par différents petits emplois, tout en écrivant de la poésie, un important journal et ce qui deviendra son premier roman. Licencié en lettres modernes et en histoire de l’art, titulaire d’un DUT Métiers du livre, Hafid Aggoune a vécu à Aix-en-Provence, Venise et Paris où il a choisi de vivre en 2002. Après la publication de quatre romans, Les Avenirs (Farrago, 2004), Quelle nuit sommes-nous? (Verdier/Farrago, 2005) Premières heures au paradis (Denoel, 2008), Rêve 78 (Gallimard, 2009), récit émouvant sur sa mère et son amour de la littérature. Les Avenirs a reçu le prix de l’Armitière et le prix Fénéon en 2005 et a été réédité en numérique avec succès chez Storylab. En mars 2014, les droits de ce premier roman sont achetés par Good Lap Production pour une adaptation en long-métrage par Brigitte Lo Cicero (d’après un scénario de l’auteur et de Brigitte Lo Cicero). Il participe au recueil « Nouvelles du couple » ouvrage collectif dirigé par Samuel Dock. 

Nouvelles du couple. « La Princesse » par Erwin Zirmi. Extrait.

Oui, la princesse en avait assez. Elle désirait ardemment des choses niaises : la Saint-Valentin, des mots doux, des  textos, des croissants le matin, des week-ends à la mer et des bouquets de fleurs. Bien sûr, son prince serait à sa hauteur : il serait riche, grand, beau, intelligent, drôle, doté d’une élégance rare et d’un gros braquemard. Hélas, même si Paris regorgeait d’hommes qui lui plaisaient, il était difficile à trouver. Pourtant, elle avait une incroyable capacité à tomber amoureuse. Mais toujours, quelque chose manquait. Le beau avait un effroyable égo, celui-là était un Dieu au pieu mais ne savait pas aligner trois mots, celui-ci avait tout pour lui mais souffrait d’un appendice riquiqui, le dernier l’avait fait jouir de façon phénoménale, mais votait Front National.

La mélancolie s’empara de la princesse. Se croyant maudite, elle se résolut à mener une vie libre et scandaleuse. Ses amies lui disaient « Patience. » Elle répondait par le silence. Elle regardait les gens se fiancer et se marier. Elle déprimait. Son miroir s’était mis à lui parler : « Toute ta vie tu ne seras pas fraîche comme la rosée. »

Bien sûr, des hommes l’avaient aimée. Tous, elles les avaient envoyés promener. Pour elle, jamais l’amour ne durait.

Un jour qu’elle sortait des draps d’un amant décevant, il fut là. Elle le regarda. Il n’osa pas. Alors elle fit le premier pas et l’entraîna. Quand ce fut fini, elle se rhabilla. Il lui tendit sa carte : « Appelle-moi.» Sur la carte son nom, avec un vrai numéro, et un vrai métier. Elle trouvait le métier tout pourri, mais comme la trentaine s’approchait dangereusement, elle se dit qu’elle ferait avec, assurément. Elle lui donna son numéro. Il était beau, sa peau chaude et son sourire confondant. Pour le reste, elle avait testé et validé.

photo-15438Erwin Zirmi a mis sa vie sous le signe de la diversité et du dynamisme. Il mène sa formation dramatique au travers du filtre de cette pluralité : au cours Florent, il suit une formation bilingue en anglais et en français. Avec Jean-Louis Tribes, il complète son approche intellectuelle et émotionnelle par un travail sur la mémoire sensorielle. Toutes ces aventures lui permettent un travail des plus variés, tant dans la forme que dans le fond. Il passe avec facilité du théâtre à la télévision et de la télévision au cinéma. Persuadé que toutes les expériences sont bonnes à vivre, il plonge dans la télé-réalité le temps d’une rentrée audiovisuelle, et voit dans son rôle de professeur pince-sans-rire des années 50 du « Pensionnat de Chavagnes », une occasion unique de communiquer et de se mettre en scène. Il joue avec conviction, justesse et un amour des mots certain les rôles légers de Feydeau, et les personnages des sketchs de Karl Zéro, jusqu’à ceux plus graves, du Prêtre du « Dialogues des carmélites » .Rien de bien étonnant que son énergie le conduise à écrire et jouer « Les deux pieds dans le bonheur », dans laquelle on retrouve un écho de ses rencontres qui nourrissent son imagination débordante et de son goût du bon mot, toujours justement porté.

Nouvelles du couple. « La Coupure » par Samuel Dock. Extrait.

Samuel Dock (7)

Samuel Dock, par Damien Guillaume

Te souviens-tu de notre rencontre ? La première fois que nous nous sommes croisés ? A l’autre bout du monde, là où tout commence et là où tout s’éteint. Notre histoire ne pouvait débuter que dans tout ce blanc, cette stérilité, la nausée, l’accident des autres. Il fallait que notre premier contact soit douloureux, pour que l’on se garde toujours de l’évidence, de la facilité des promesses dites. Il fallait qu’il soit brutal pour que nous parcourions, tout au long des jours à venir, les kilomètres carrés de notre sacrifice. J’ai abdiqué sur un territoire immense pour être proche de toi, pour ne jamais te quitter. Je nous voulais, nous deux, et personne d’autre. J’ai fait le voeu que succombe toute altérité. Une aura empoisonnée pour qu’ils nous laissent en paix, tous, qu’ils gardent leur distance. Nous n’y sommes pour rien, mon amour, si nous sommes nés en même temps. Il fallait du sang. Il fallait du pouls. Que cela nous perce les tympans. Il fallait que nous souffrions pour nous fondre l’un dans l’autre, changer l’image extérieure en une représentation pareillement éprouvée. Le sais-tu seulement ? Des cris. Des bruits. Beaucoup trop de bruit. Une musique trop forte avant le jour. D’autres encore, qui s’agitent, qui parlent trop fort.  Et toi, pourtant. Il n’y a jamais eu que toi. Le cadre de mon existence a définitivement vacillé la première fois que nous n’avons fait qu’un. Et que nous n’avons plus cessé.