L’article est disponible ici
« Je suis un être perpétuellement en colère ».
Nous nous sommes donnés rendez-vous dans un célèbre café de Saint-Germain-des-Prés. Il est 11 heures du matin en ce lundi d’un mois de mars au ciel nuageux, quelques touristes au premier étage encore calme avant le rush du déjeuner.
Cette fois-ci, contrairement à la fois précédente, il n’a pas oublié de venir et me fait remarquer le sourire aux lèvres, qu’il est à l’heure. Visiblement stressé, il consulte son portable.
« Demain je fais une conférence à la Mairie du XVIIIe et mes ouvrages n’ont pas encore été livrés, j’appelle à droite et à gauche dans l’espoir de trouver une solution ». Il s’en excuse, dit avoir hésité un moment à annuler notre rendez-vous tellement cela le préoccupe, mais finalement se dit content d’être là et commande un thé.
Lui, c’est Samuel Dock, écrivain et psychologue clinicien, né à Besançon, auteur de L’Apocalypse de Jonathan, premier roman publié aux Editions Le Manuscrit en 2012, encensé par la critique et très bien accueilli par le public. Jonathan, dit-il, est une personne qui ne parvient pas à trouver sa place dans notre monde et qui a eu besoin de s’inventer un monde pour pouvoir survivre à notre société, à notre civilisation.
Pourquoi un jeune écrivain, s’intéresse-t-il à l’apocalypse ? D’où lui vient cette vision si pessimiste de la vie, cette colère, ce désespoir ? L’apocalypse, dit-il, c’est élimination des potentialités, c’est la fin de tout au-delà d’une mort commune. Plus d’espoir, plus d’héritage, le néant absolu, plus aucune trace de notre passage. Livre générationnel dans lequel l’auteur veut parler de la « borderlinisation » de la société. « Nous sommes de plus en plus intolérants au manque et sommes en permanence à « fétichiser » les objets. Jonathan, le personnage, n’arrive pas à trouver sa place dans ce monde ».
En 2014, Samuel Dock part à la rencontre d’écrivains d’horizons différents pour leur demander des nouvelles du couple. Que reste-t-il du couple dans un monde de plus en plus individualiste et hédoniste ? Plus d’une dizaine d’auteurs prêtent leur plume et donnent leur vision de l’amour sous toutes ses formes : narcissique, destructeur, complice et tant d’autres. Y a-t-il encore un sens à cette entité ? L’ouvrage est publié aux éditions France-Empire.
A chacune de nos rencontres, Samuel Dock ne cesse d’affirmer son amour et admiration pour la linguiste, psychanalyste, sémiologue et romancière Julia Kristeva, née en Bulgarie et découvrant le Paris de la Rive Gauche des années 70, aujourd’hui reconnue dans le monde parmi les intellectuelles les plus importantes de notre époque. De cette rencontre va naître Je me voyage, des Mémoires sous forme d’entretiens, publié en 2016 chez Fayard. L’idée de départ était de coucher sur le divan l’immense intellectuelle, en partant de sa naissance en Bulgarie à nos jours.
Un extrait du livre nous donne la mesure de cette ferveur que le jeune auteur a pour la brillante psychanalyste et écrivain :
« Je n’oublierai jamais notre rencontre. Visage aux pommettes hautes, regard pénétrant, large sourire. Elégante, maîtresse d’elle-même mais détendue, j’aime la force qui émane de sa présence. Elle m’accueille chez elle, mon magnétophone, mes questions. Nous buvons un thé de Chine dans cet appartement calme et lumineux. Elle se souvient, je la relance. Le livre se fait à deux. Elle m’impressionne, elle s’en amuse, je ramène la théoricienne à son vécu, aux émotions, elle joue le jeu, ou pas, nous poursuivons. Son humour me plaît, nous rions, et ce partage allège l’imperceptible mélancolie de l’exercice autobiographique. »
Lors d’une soirée dédicace pour son roman dans une maison ayant appartenue au couturier Christian Dior, Samuel Dock invite Marie-France Castarède, celle qui fut sa professeure en psychopathologie à la Faculté.
De manière tout à fait inattendue et imprévisible, de fil en aiguille, entre quelques bons souvenirs échangés, un projet d’un livre en commun émerge de manière surprenante, spontanée et et intuitive. Ce sera Le Nouveau Choc des Générations aux Editions Plon, inspiré du livre célèbre Le Fossé des Générations de l’anthropologue américaine Margaret Mead (1901-1978).
C’est un échange vif, brillant et passionnant et aussi une réflexion conjointe. Ils abordent de manière subtile différents sujets allant du corps dans ses multiples aspects, l’individu et son image, le culte du paraître, l’omniprésence du virtuel, le tatouage, le gothique, le corps et la religion, le corps sur mesure, la pornographie, en passant par les images qui envahissent notre monde moderne, les jeux vidéo, facebook, le rapport à l’intime, le rapport à l’autre, pour finir sur les nouvelles configurations du couple et de la famille et la place de l’enfant.
Quelles sont, se demandent-ils les grandes différences aujourd’hui entre les générations ? Y a-t-il véritablement un choc générationnel, une fracture entre les âges ? Malgré leurs nombreuses divergences, les auteurs nous invitent à un très beau voyage entre deux époques, deux regards remplis d’intelligence, de complicité et de bienveillance et nous démontrent qu’il est encore possible de communiquer. Vision « traditionaliste » versus une vision plus moderne de la société ? On passe d’une époque patriarcale à un monde contemporain plus narcissique et individualiste où le rapport à l’autre, au savoir et à l’objet est profondément modifié.
Leur entente est tellement parfaite et sincère, qu’ils récidivent quelques années plus tard et nous offrent un nouvel ouvrage à deux voix Le Nouveau Malaise dans la Civilisation, toujours aux Editions Plon.
Cette fois-ci il s’agit non plus de s’intéresser à l’individu mais à la crise, au marasme et au malaise que traverse nos sociétés contemporaines. Le point de départ fut cette terrible vague d’attentats terroristes qui a submergé le Vieux Continent et bien entendu un hommage à Freud, le père de la psychanalyse auteur du Malaise dans la Civilisation, ouvrage écrit durant l’été 1929 et publié une année plus tard.
Freud affirmant que la culture est édifiée sur du renoncement pulsionnel et que la civilisation a toujours été animée par un combat entre Eros et Thanatos, pulsion de vie et celle de mort. Aujourd’hui cette pulsion de mort est présente sous différentes formes : la radicalisation, l’hyper consumérisme, la violence, la crise écologique, la vacuité spirituelle, crise de sens.
Grâce à sa sensibilité et à son génial talent, Samuel Dock a été invité par la chanteuse Zazie à écrire le portrait de l’artiste à l’occasion de la parution de l’intégrale de ses albums. En voici un bel extrait :
« Si, un jour, j’ai la chance de mourir, vieux et rassasié d’existence, aimé d’amour, lesté d’écrits, si allongé dans un lit blanc, il me faut clore la Bande Originale de ma vie, je n’aurai pas dans l’oreille, tendre acouphène, les mots consolants de mes parents ; je n’aurai pas ce qui aura manqué, mes rages adoucies ou mes poésies domestiquées. Non, je t’aurai toi, ton sourire et ta voix ; ce qu’elle a toujours été pour moi, une grâce contre la peur, ce fil d’or jaillissant des ténèbres après le silence : « Moi je roule, et je file, dans une auto sans mobile … «
Notre écrivain, poète et psychologue a bien voulu répondre à notre questionnaire, nous en sommes très touchés et lui remercions du fond du coeur et attendons avec impatience d’autres beaux livres.
Votre état d’esprit actuel .
Anxieux. Je suis d’une nature anxieuse, c’est le prix à payer pour ma grande sensibilité.
Dans le bar d’un palace parisien, qu’est-ce que je peux vous offrir à boire ?
Un Maï Thaï .
Quelle musique pour compléter l’ambiance ?
Un album de The XX ou Efterklang .
Comment l’écriture est-elle entrée dans votre vie ?
Quand ma détresse a débordé mon corps à l’âge de 10 ans. L’élément déclencheur fut l’écriture de Dostoïevski, Crimes et Châtiments.
Votre plus grande joie artistique.
Chaque lecture de Dostoïevski a été un total bouleversement de mon existence. Les films de Donnie Darko et The Hours m’ont durablement marqué et bien sûr tous les albums de Zazie et son travail avec lequel je suis durablement lié.
Votre auteur ou écrivain préféré.
Dostoïevski parmi les écrivains déjà morts et Serge Brussolo chez les vivants.
Qu’évoque pour vous le mot « fantaisie » ?
J’aurais tendance à vouloir répondre théoriquement, je dirais une inquiétante étrangeté.
Votre madeleine de Proust.
En général je cherche à mettre de la distance avec mon passé mais sinon, un chocolat chaud et une BD par un mercredi pluvieux.
Votre principal défaut.
La colère. Je suis un être perpétuellement en colère sauf à des moments où je dois écouter la souffrance de l’autre.
Que vous manque-t-il pour pimenter votre vie ?
La sérénité. Pouvoir cohabiter avec moi-même.
Le meilleur moment de la journée.
Le matin, c’est là où j’écris le mieux … J’aime la fraîcheur du matin, j’aime la promesse du matin.
La chose qui vous déprime.
La répétition de mes erreurs. Saint Augustin disait que l’erreur est humaine, l’entêtement dans son erreur est diabolique. Mon intuition me déprime, j’aurais aimé être surpris.
La question que vous auriez aimé que je vous pose ?
« Quels sont vos prochains livres ? »