L’article est disponible ici. Merci à Vincent Mongaillard.
À l’entrée du lycée Victor-Duruy, dans le quartier chic des Invalides à Paris, Simon, Milo, Alexis et Noam, 15 ans, retrouvent un pote. « Ça va frère ? », demande l’un d’eux, imité par ses pairs. Il n’y a pourtant aucun lien de parenté dans cette bande. Mais voilà, le monde des ados est devenu une famille ultra-nombreuse où l’on met du « frère » à chaque fin de phrase.
« C’est une manière de dire : Tu comptes pour moi et je peux compter sur toi. Une façon de montrer qu’il existe un vrai feeling entre nous. Mais ça peut aussi vite devenir un tic de langage comme genre », préviennent ces fils de bonne famille. Le plus étonnant, c’est que désormais les filles entre elles se donnent du « frère » plutôt que de la « sœur », comme s’il n’y avait plus de distinction de sexe. On entend également un garçon lancer à une fille « prête moi ton stylo frère ». Ou un frangin demander à la maison à sa petite sœur : « T’as vu le dernier clip de PNL, frère ? » Et, dans un réflexe de Pavlov, interpeller sur le même mode… son père !
Jusqu’à l’overdose
Ce qui est aussi nouveau dans ce mot-ponctuation, c’est qu’il s’est généralisé à l’ensemble des classes sociales. L’intrus est apparu dans les années 1980 dans les banlieues, inspiré de la culture hip-hop américaine distillant du « brother » (frère en anglais) et son diminutif « bro » à toutes les sauces. Selon la linguiste Aurore Vincenti, cet argot de la dalle, « un temps synonyme d’appartenance dans les milieux clos » se « diffuse aujourd’hui de plus en plus vite vers les beaux quartiers grâce notamment au rap, musique démocratique écoutée même dans les milieux les plus aisés », observe celle qui a écrit « les Mots du bitume » (Le Robert).
L’émission de téléréalité sur W 9, « les Marseillais », compte aussi d’excellents ambassadeurs, en particulier un trublion prénommé Greg qui emploie « frère » jusqu’à l’overdose. « A la base, ce n’est pas censé faire partie de notre vocabulaire parce que c’est étiqueté cités », résume Palmyre, 15 ans, en 1re littéraire à Victor-Duruy. « Dire frère ou frérot, c’est très masculin. Ma meilleure amie l’utilise quand elle s’énerve. En vrai, c’est pour montrer qu’elle est un peu mec, un peu bad boy », sourit Clémence, 18 ans, en terminale L.
Li-Ahn, 15 ans, en seconde, y a recours quand elle « friendzone », comprenez : quand elle exclut toute relation amoureuse avec un interlocuteur. « Si on me dit T’es jolie et que je ne suis pas séduite, je réponds : Merci bro ou Merci frère ! Cela installe une distance », précise-t-elle.