LCI : Les 18-35 ans font-ils vraiment moins l’amour que leurs aînés ?

Merci à Romain Le Vern. L’article est disponible ici
DÉSIRS EN DÉSORDRE – Plusieurs études ont montré que la génération Y se passionnait moins pour le sexe que les générations précédentes. Mais est-ce réellement le cas ? On a questionné un psychologue et un sexologue.

La France a peur, les médias tirent la sonnette d’alarme, les parents tremblent… Une étude anglaise de 2013, régulièrement reprise dans les médias depuis, avait mis en évidence le fait que les jeunes adultes de la génération Y feraient moins l’amour que leurs aînés, voire beaucoup moins (une moyenne de 4,9 fois par mois pour les hommes et de 4,8 fois par mois pour les femmes). Depuis, d’autres publications sont venues alimenter ce constat, comme celle, américaine et datant de 2016**, dans laquelle environ 15 % des adultes de 20 à 24 ans disaient n’avoir eu aucun partenaire sexuel depuis leurs 18 ans, un chiffre qui n’était que de 6 % pour la génération précédente. Une autre plus récente, menée en Grande Bretagne***, a de son côté montré qu’une personne sur 8 de plus de 26 ans serait toujours vierge…

Est-il pour autant exact d’affirmer, comme on le lit souvent, que les rapports sexuels ne séduisent plus vraiment les Millenials ? « Dans une société hyper individualiste, il s’avère effectivement plus difficile d’en avoir », nous répond Samuel Dock, psychologue pour adolescents. « Tout simplement parce qu’il devient plus ardu de supporter l’étrangeté de l’autre, nécessaire à tout rapport sexuel, quand on peine déjà à affronter sa propre étrangeté, cette part d’inconnu que nous avons tous. » Narcisse 2.0 serait-il trop soucieux de lui-même pour s’engager corporellement avec autrui ? Ce désir apparemment en berne aurait-il pour origine le flot des notifications sur portable, un abus de bingewatching sur Netflix ou encore l’accès libre à la pornographie, ce démon si souvent pointé du doigt ? Rien de si simple, évidemment…

Cul(te) de la performance

« La génération Y est la première génération qui a « tout-vu-tout-connu » virtuellement avant d’avoir fait quoi que ce soit dans le domaine de la sexualité, souligne le sexologue Patrick Papazian. On peut comprendre que le passage à l’acte soit vécu différemment : moins d’effet de surprise, une lassitude plus rapidement ressentie ». « Ce que j’observe parfois, illustre-t-il, ce sont des couples d’une vingtaine d’années en errance sur le plan sexuel, ne trouvant plus de levier d’excitation. Chez eux, l’entrée en sexualité est souvent l’occasion de redescendre sur terre et de rentrer dans une pratique plus banale et routinière. Certains vont dès lors préférer retrouver l’excitation d’un écran. »

La sexualité subit alors la même transformation que nos existences ultra-connectées, où les rapports virtuels se substituent à la réalité : « On a davantage des nouvelles de ses amis sur Facebook qu’en les voyant, et c’est un peu pareil avec cette génération ‘digital-native’, constate le sexologue. L’écran et le virtuel érotique sont parfois aussi efficaces que la réalité et moins fatigants… Moins d’efforts de séduction à faire, plus de liberté dans l’anonymat du web, c’est tentant. »

Pour Samuel Dock, ce qui peut aussi se révéler inhibiteur pour cette génération Y, c’est le culte de la performance/jouissance/brillance : « Notre société dite hypermoderne prétend rendre la sexualité extrêmement libre et facilitée, comme si c’était quelque chose qui ne posait plus aucun problème ; or, il existe bel et bien des problèmes : l’impression de ne pas être à la hauteur, la peur de s’engager dans le mystère du corps de l’autre… »

Quête d’intensité et de nouveaux désirs

Serions-nous donc proches de la fin du monde ? Au contraire ! On assiste, en réaction aux diktats de cette « performance obligatoire », à l’émergence d’une sexualité différente, pour ne pas dire nouvelle, à l’abri des étiquettes, chez des jeunes revendiquant souvent une approche non-binaire (le fameux « no gender », soit pas exclusivement homme, ni exclusivement femme), traquant de nouveaux désirs dans les interstices d’une société normative : « La génération Y revendique clairement une appétence pour les variations érotiques, constate Samuel Dock. C’est une ouverture, un terrain d’expérimentation de pratiques sexuelles (échangisme, homosexe, polyamour, plans à trois…). Une sexualité libérée dans ses potentialités d’expression, privilégiant la qualité à la quantité et donc à la fréquence. »

En somme, une quête d’intensité nécessaire pour se (re)découvrir. Faire moins l’amour pour le faire mieux. Et, peut-être, aimer plus fort.

* Publiée dans la revue The Lancet

**  A retrouver ici

*** Relayée en mai dernier par The Independent

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