LCI : Propos de Yann Moix sur les femmes asiatiques, ce qui se cache derrière le fétichisme ethnique

Article de Romain Le Vern disponible ici 

POLÉMIQUE – Dans une interview à Marie-Claire, l’écrivain Yann Moix a confié être « incapable d’aimer une femme de 50 ans » et n’être attiré que par les femmes originaires d’Asie. Des propos qui ont suscité des réactions indignées et qui posent la question du fétichisme ethnique.

 

Dans une interview publiée dans Marie Claire, l’écrivain Yann Moix s’est confié sur ses relations avec les femmes, s’avouant en toute franchise « incapable d’aimer une femme de 50 ans » et ne sortir « qu’avec des Asiatiques » (« Beaucoup de gens seraient incapables de vous l’avouer car c’est du racialisme », a-t-il aussitôt ajouté). Des propos qui ont suscité l’ire de nombreux internautes sur les réseaux sociaux.

Au-delà de la petite provocation consistant à révéler publiquement son obscur objet du désir, cette réflexion interroge la nature profonde de nos fantasmes, « ces vagabondages de l’imaginaire érotique » où chacun peut délirer sur ce qui lui chante. Comme le souligne le sexologue Patrick Papazian, sollicité par LCI, la complexité de nos fantasmes est telle qu’ils sont souvent « forgés par nos représentations culturelles, sociales »et résultent « de clichés véhiculés depuis plusieurs générations sur les femmes asiatiques, les hommes noirs ou encore les femmes ménopausées, comme en témoigne ce fameux cap des 50 ans qui serait le glas de l’attirance sexuelle dans la tête de certains hommes ». Des fantasmes nombreux au vu des données publiées chaque année par le géant du porno Pornhub sur les mots-clés les plus fréquemment tapés sur son site.

« L’expression de tels fantasmes peut être offensante pour autrui »

Soulignant que « l’imaginaire érotique appartient à chacun », le sexologue Patrick Papazian concède que dans l’intimité d’une consultation, l’aveu de tels fantasmes est fréquent : « Les patients que je reçois banalisent ces préférences en disant ‘Moi, mon truc, c’est les jeunes, les Asiatiques, les grosses…’, et ils n’y associent le plus souvent pas de souffrance. J’essaie de les amener à réfléchir à ces attirances, non pas pour les changer, mais pour qu’ils ouvrent un peu leur imaginaire érotique à d’autres dimensions, et surtout qu’ils comprennent que l’expression de tels fantasmes peut être offensante pour autrui ».

Ériger ces fantasmes en attirances acceptables socialement, c’est alimenter les clichés les plus sordides de tri des races et c’est dangereux.Patrick Papazian, sexologue

Le fait de restreindre le champ des possibles constitue l’une des caractéristiques du fétichisme ethnique. Le psychologue Samuel Dock rejoint le sexologue sur ce raisonnement, voyant dans le fétichisme sexuel un risque de se fermer à toutes les relations amoureuses : « Freud assure qu’il existe un fétichisme normal dans l’amour, grosso modo que l’on peut préférer les brunes, les blondes etc., mais que ce fétichisme devient problématique quand cette composante devient indispensable à la relation à l’autre et à la jouissance. Dans le fétichisme racial, ce qui peut être problématique, c’est que ça devient exclusif, voire pathologique. » En d’autres termes, difficile de débuter une relation reposant uniquement sur des stéréotypes.

Surtout, la raison pour laquelle la déclaration de Yann Moix peut mal passer, c’est que « la parole publique doit être utilisée à bon escient quand vous parlez de votre sexualité », et donc « ne donne aucun droit de dire tout ce qui vous passe par la tête au nom d’une liberté fantasmatique sacrée », estime Patrick Papazian. « Ce qui est sacré, c’est le respect de l’autre et le devoir de réfléchir à ses propres conditionnements avant d’exprimer ses fantasmes. »

De la nécessité d’humaniser le fantasme

Ainsi, en réduisant « un individu à ses origines raciales et, surtout, aux représentations culturelles, corporelles, intellectuelles, que vous vous faites de ces origines », le fétichisme ethnique revêt aux yeux du sexologue une connotation raciste. « Discuter entre amis de ces sujets, s’interroger sur les raisons de ces attirances, pas de problème !, lance-t-il. Mais les ériger en attirances acceptables socialement, c’est alimenter les clichés les plus sordides de tri des races et c’est dangereux. Vous triez sur un critère purement racial, c’est donc, stricto sensu, du racisme. »

Patrick Papazian fait surtout valoir que si des personnes considérées comme des « fantasmes sur pattes » expliquent qu’elles considèrent qu’il s’agit de racisme, « il faut l’entendre et réfléchir aux leviers de ces fantasmes » : « J’ai des patients, objets de ces fantasmes, qui souffrent vraiment de ces fétichismes, quelles que soient leur identité et leur orientation sexuelles, et qui, pour les personnes noires ou asiatiques, évoquent l’impression d’être encore le ‘fantasme quasiment animal de l’homme blanc’. La question qui revient souvent, c’est : « Et si j’étais blanc/blanche, aurait-il/aurait-elle voulu de moi ? ».

De quoi rappeler en somme que la seule personne habilitée à évaluer le caractère offensant ou dégradant d’un fantasme, c’est la personne qui en est l’objet ou qui en est exclue, pas la personne qui fantasme.

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