Merci à Romain Le Vern. L’article est disponible ici
Mais qui sont ces jeunes « mutants » de la génération Z qui manipulent plusieurs écrans comme dans Matrix, qui trouvent normal d’obtenir gratuitement d’un clic le dernier album de Kanye West, qui regardent les films en plusieurs parties sur YouTube ? On les dit adeptes de jeux vidéos, de super-productions hollywoodiennes, de K-Pop et de LolCat, s’exprimant en acronymes, en anglicismes, en hashtags et surlikant les tutoriels sur YouTube. On a surtout envie de dire « sus aux clichés » ! Cette génération mérite mieux que ces lieux communs. Elle pourrait même s’avérer riche, « existentiellement parlant ».
« La grande différence entre la génération Y (personnes nées entre 1980 et le milieu des années 90, ndlr) et la génération Z, c’est que cette dernière est directement née dans la civilisation de l’image », confirme Samuel Dock, psychologue et auteur du livre Punchlines des ados chez le psy, habitué à accompagner les adolescents. « La génération Z n’a pas eu à faire le deuil de cette transition entre une société post-moderne et une société hyper-moderne. Manipulant mieux l’image, elle n’a pas eu à faire le deuil d’un monde qu’elle n’a pas connu contrairement à la génération Y qui, elle, se révèle en deuil perpétuel du rapport à l’autre, d’un certain plaisir de vivre, d’une forme de simplicité qui était sans doute un simulacre. »
Et si on arrêtait de les juger ?
Du propre aveu du psychologue clinicien, ce qui tourmente le plus nos adolescents actuels, c’est la quête de sens : comment on fait sien ce monde désenchanté ? Est-ce que ce monde-là est vraiment perdu ? Est-ce qu’il y a encore des raisons de se battre ? Est-ce qu’il faut se révolter ? « On peut aussi faire fi de nos préjugés et respecter leurs désirs, on peut comprendre que c’est fatigant d’être un adolescent aujourd’hui, que c’est fatigant de devenir un adulte dans notre monde actuel et que, oui, c’est fatigant de découvrir la portée de sa finitude ».
« Les ados de la génération Z ont des questionnements forts, ils ont des tabous », poursuit Samuel Dock. « La mort est un sujet sur lequel ils ont parfois des difficultés à échanger. Je crois que son ensevelissement par la société de l’entertainement, du like à tout prix, du narcissisme qui refuse de montrer ses faiblesses, ne leur offre pas d’étayage pour réfléchir autour de ce sujet. Le corps aussi est tabou, la façon dont on l’investit, le traite, le soigne… C’est comme s’il valait mieux ne pas en parler. Enfin, les violences peuvent être des tabous. Il n’est pas facile pour les ados de reconnaître une vulnérabilité. »
Plus encore que la génération Y, la génération Z reste aussi et surtout une génération solidaire, qui a besoin de l’autre : « Quand les ados actuels s’engloutissent dans les réseaux sociaux, ils ne sont pas forcément déconnectés de la réalité » insiste Samuel Dock.
« La plupart du temps, on ne donne pas à l’adolescent l’autorisation de rejoindre ses amis dans le véritable espace social qui est la réalité. Si on lui donne la possibilité de sortir, alors il choisira toujours cette option de quitter son smartphone pour aller vers l’autre, dans son groupe d’élection, son autre famille. »
Une génération qui, dans un monde sombre, puise sa lumière dans la culture, dans les fameux « shōnen » qui font florès. Ces mangas narrant l’histoire d’un héros qui, au départ, n’est rien et qui va réussir à accéder à une autre vie, à advenir : « Netflix attire beaucoup les adolescents » confirme le psychologue. « Pendant les consultations, les patients me parlent beaucoup des séries Sense8, de La casa de papel. La série qui revient tout le temps, c’est 13 reasons why, à travers laquelle ils se sentent compris. J’ai des patients qui s’amusent à suivre des YouTubeurs qui font des résumés de l’actualité politique chaque semaine mais de façon générale, ils ne se reconnaissent pas dans les projets politiques de la France, ils rêvent d’autre chose, je sais que le thème du voyage revient souvent en consultation, avec l’envie de construire quelque chose de mieux, ailleurs. »
Allô parents, bobo ?
Et les parents dans tout ça ? Pas trop déphasés par cette génération engluée dans le numérique ? « Si je devais donner un conseil à un parent qui ne comprend pas son enfant, ce serait de dire qu’il faut pouvoir écouter simplement cette transformation, poursuit Samuel Dock. On oublie souvent qu’un adolescent doit se sentir suffisamment en confiance avec ses parents pour pouvoir se révolter. La révolte adolescente n’est pas forcément synonyme de reproches profonds à l’égard des parents mais il peut s’agir d’un remaniement, d’une autre façon de représenter les personnes autour de lui et de se représenter lui-même. On dit que les adolescents s’ennuient beaucoup mais il faut que les parents s’interrogent sur ce qu’ils mettent à disposition de leurs adolescents, pour qu’ils puissent se divertir, pour qu’ils puissent trouver du lien social jusque dans les activités extra-scolaires. »
Et lorsque l’on entend que l’ado de la génération Z est réellement différent de l’ado de la génération Y, qu’il est foncièrement plus précoce, s’agit-il d’un mythe ou d’une réalité ? « Je ressens effectivement cette maturité dans cette génération Z. Il y a une grande vivacité d’esprit chez ces ados, très jeunes, de 13-14 ans, et je la pense liée au flux perpétuel d’informations faisant qu’ils apprennent plus vite. Pour autant, sur le plan sexuel et du rapport à l’autre, je ne pense pas que cela ait foncièrement changé ». En d’autres termes, si la société évolue, l’adolescent reste définitivement le même.