LCI : Répondre au téléphone vous angoisse ? On vous explique pourquoi

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PSYCHO – Dans nos sociétés ultra-connectées, la peur de téléphoner et/ou de recevoir un coup de fil se révèle paradoxalement plus répandue qu’on ne l’imagine. Mais pourquoi donc ? Nous avons posé la question à Samuel Dock, psychologue clinicien.

« T’es où ? », « T’as pensé à le rappeler ? », « J’ai besoin que tu me répondes vite »… Ces messages s’accumulent sur le répondeur de votre téléphone comme autant de vaisselle sale dans l’évier, vos proches comme vos collègues ne comprennent pas pourquoi vous ne répondez pas instantanément à leurs missives enflammées. La réponse est simple : vous souffrez d’un mal invisible, la phobie de l’appel téléphonique qui peut aussi bien venir d’une anxiété sociale que d’une fatigue passagère.

Là où, pour certains, passer un coup de fil relève du geste quotidien, anodin, pratique ; pour d’autres, il s’agit d’une quasi torture : peur de bafouiller ou de manquer de répartie, sentiment de faiblesse, énervement, timidité… Pourquoi certains sont plus à l’aise avec cet outil de communication que d’autres ? Peut-on mettre des ressorts psychologiques sur cette peur ? S’agit-il d’une angoisse contemporaine ? Que faire pour s’en sortir ? Nous avons tenté d’en savoir plus avec le psychologue clinicien Samuel Dock.

LCI : Pourquoi a-t-on à ce point peur de répondre à un appel téléphonique ou d’appeler quelqu’un ?

Samuel Dock : Il existe plusieurs facteurs, sociologiques et psychologiques. Communiquer ne réclame pas seulement l’émission du message d’un destinataire vers un récepteur, cela fait aussi intervenir ce que l’on appelle la « méta-communication ». Soit tout un ensemble de signaux physiques, émotionnels, qui s’appuient aussi sur le contexte et qui permettent à chacun de préciser la qualité de l’échange ainsi que son contenu. Pour certaines personnes, il est difficile de se passer de l’ensemble des signaux et de n’avoir que le seul signal auditif verbal. En somme, on a besoin de tous ces paramètres pour avoir un dialogue et une communication authentiques.

LCI : Pourtant, nous passons nos journées entières avec un téléphone dans la main…

Samuel Dock : C’est vrai que c’est un paradoxe. Le smartphone est devenu une espèce de doudou pour adulte mais prendre du temps, ralentir, accorder du temps à cet autre qui n’est pas là, peut s’avérer compliqué. Répondre au téléphone ne signifie pas juste de décrocher. Cela veut dire répondre à la demande de l’autre, savoir s’adapter au message de l’autre, se conformer à son attente. Pour certaines personnes, qui vont avoir des inhibitions sans forcément être timides, cette question de l’autre pose problème. Il y a aussi la difficulté d’apprivoiser non pas par le biais d’un écran mais avec sa voix directement dans l’oreille. Une voix qui vient outrepasser nos limites, pénétrer notre intégrité corporelle et psychique.

LCI : D’où peut venir ce sentiment d’agression ?

Samuel Dock : Cela trouve un écho en psychanalyse avec la constitution de l’enveloppe sonore. Quand un enfant est dans le ventre de sa mère, il entend déjà la voix maternelle et il se constitue une véritable enveloppe, une contenance, un sentiment d’identité. Une personne qui a eu des expériences négatives, mortifères, défavorables au moment où elle constitue cette enveloppe, prendra certains sons, certaines voix comme une intrusion de son unité somato-psychique. Comme une effraction de son sentiment d’identité.

LCI : Existe-t-il d’autres explications ?

Samuel Dock : Certains craignent que l’appel téléphonique ne laisse aucune trace. il faut accepter de travailler cette parole, de travailler ce manque, notre manque, le manque de l’autre, sans objet. On est en suspension, sans prothèse narcissique, sans rien d’autre que cette présence fantomatique de l’autre qu’il s’agit d’accompagner.

LCI : Un coup de téléphone n’est-il pas aussi l’irruption du désordre dans nos vies bien rangées ?

Samuel Dock : Tout à fait. Lorsque le téléphone sonne, il faut s’arrêter. Sur les smartphones, même les plus évolués, lorsqu’on reçoit un appel, on ne peut plus accéder aux autres applications. Aujourd’hui, il est très difficile d’être mono-tâche, de se concentrer sur un seul objectif. On a ce fantasme d’omnipotence pour pouvoir tout faire tout de suite… Le téléphone marque un arrêt dans cet état de course. Lorsque les personnes sont au téléphone, elles font autre chose en même temps, elles maintiennent une activité, une agitation pour ne pas s’arrêter complètement.

LCI : Comment se soigner de cette phobie ?

Samuel Dock : Une des solutions pour redevenir acteur, c’est de devenir « celui qui appelle ». On ne répond pas au coup de fil sauf s’il s’agit d’une urgence afin de se mobiliser au moment où on appelle. Et on n’hésite pas à verbaliser à l’autre son angoisse, en lui disant clairement qu’on a du mal avec le téléphone. Lorsqu’une difficulté est verbalisée, elle est plus facile à accepter.

LCI : Est-ce que les nouveaux modes de communication que sont les réseaux sociaux ou même les sms peuvent aider les phobiques de l’appel téléphonique ?

Samuel Dock : Cela peut être utile de trouver d’autres médias pour communiquer, pour accéder à l’altérité. Le seul problème, c’est que lorsque l’on développe une hyper-compétence dans la gestion des mails et des textos, on a tendance à désinvestir d’un point de vue cognitif, en termes de mémoire et langage, la communication proprement dite, avec le support acoustique de la parole.

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