Il nous a comme un goût de futurologie ce Nouveau choc des générations qui nous fait penser au Choc du futur d’Alvin Toffler : il vous connote l’idée d’une béance, d’une rupture irrémédiables inscrites dans l’Histoire entre deux types de personnes que tout – us, coutumes, valeurs et perspectives – devrait opposer sans qu’il faille pour autant s’interroger sur les coûts et bénéfices de cette césure fatale que nous devrions accepter à l’égal d’un événement inscrit sur le grand rouleau dont nous parlait Diderot.
La possibilité même d’un quelconque dialogue paraît à première vue incongrue entre ces deux mondes dont celui qui se dit « nouveau » argue précisément de sa nouveauté pour alléguer quoiqu’il en dise de sa supériorité. Ainsi devrions-nous ici en bonne logique plus anticiper deux monologues (dont seul l’impératif d’un bon ordonnancement de l’échange et la bonne éducation auraient permis qu’ils ne se chevauchent point mais se succèdent) qu’un dialogue en vérité(s). Et pourtant, tout,- à l’écoute (car, n’est-ce pas ? lire, c’est entendre quelqu’un) de ce qui in fine s’appréhende comme une discussion en toute sympathie (où la com[passion]préhension l’emporte sur la dissension) -, dément nos préventions. De Marie-France Castarède à Samuel Dock, chacun est censé représenter sa génération. Mais, ne postulent-ils pas la possibilité d’une entente qui, comme dirait ma lettrée concierge qui ne craint pas les redondances, s’avère en l’espèce effective, laquelle tendrait en conséquence à infirmer le bien-fondé du titre du livre ? Mieux, même : l’analyse de l’ensemble de la matière échangée (autrement dit, tout bonnement ce qui est dit ici) permet de devoir admettre que celui et celle qui ne sont ainsi pas même des protagonistes, que Marie-France Castarède, psychologue, psychanalyste, professeur émérite des Universités, avant tout analyste et activiste de la voix… puisque l’auteur parle du chœur (et pas seulement celui de Saint Honoré d’Eylau) et son co-équipier, Samuel Dock, lui aussi écrivain et jeune psychologue clinicien, ne savent pas qu’ils se comprennent.
Et pour cause(s) … tous types aristotéliciens confondus :
la question de la succession des générations ne peut en bonne intelligence se concevoir selon une conception linéaire, ascensionnelle, progressiste de l’Histoire et du temps et ne peut se limiter à la macro et à la micro-sociologie. (Elle peut toutefois en présupposer une théorie particulière.) Elle implique :
1/d’en revenir à la question de la génération et de ses modalités (ce qui, comme dirait ma concierge, nous fait toucher du doigt la question de la sexualité : chaque génération a-t-elle des manières qui lui sont plus propres de ‘‘faire des enfants’’ ? Curieusement (et moralement) oui.),
2/ de s’apercevoir qu’il y a un comique des relations inter-générationnelles que la sociologie, la psychologie et la lexicologie permettent entre autres d’approcher mais qu’il y a surtout
3/ un tragique, grec mais avant tout chrétien, dans lesdites relations s’il l’on s’aperçoit que ce qui est au premier chef généré n’est autre que ce fameux péché originel;
4/ qu’à l’étymologie, à la sociologie, à la psy-sexologie des épidermes et des profondeurs (comme on ne dit plus) des individus et des masses, on s’adjoigne donc la théologie (biblique et dogmatique) ;
5/ l’étude de la compréhension/communication des générations entre elles conduit à celle des interférences propres aux NTIC[1] c’est-à-dire principalement de l’esprit (mind et non pas spirit) qu’elles véhiculent et qui est possiblement l’une des causes du hiatus, du malentendu pouvant exister entre deux générations ;
6/ la psychanalyse invitera à son banquet (qui ne peut être que celui de Platon) la psychogénéalogie pour montrer (voire démontrer si la clinique aussi l’observe) que si une génération g advient en concomitance avec le début d’un nouveau cycle – une nouvelle ère, une nouvelle ève – il n’y a plus d’une génération à l’autre réplication des névroses (ce qui ne signifie pas pour autant : fin des malheurs, fin des douleurs).
Ainsi nous comprenons-nous les uns les autres (parce qu’il y a génération et rétroaction des générations) et pouvons-nous comprendre qu’une tant soit peu fine approche de la question des générations entraîne en quelque sorte de l’exagé(né)ration (qui est simplement le concours qu’apportent à cette étude bien des sciences humaines).
Ainsi, si là où le péché abonde, la grâce surabonde, ainsi toute apparente dégénérescence porte-t-elle en elle-même les ferments de sa propre régénérescence.
Ainsi pouvons-nous envisager que cette riche et enrichissante causerie s’avère comme les prolégomènes d’un deuxième livre.
Hubert de Champris
[1] Nouvelles techniques d’information et de communication
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