LCI : L’œil du psy : pourquoi tant de haine contre Greta Thunberg ?

Merci à Romain le Vern. L’article original est ici

CONTROVERSE – A entendre et à lire certaines réactions épidermiques dans les médias, Greta Thunberg est devenue la mauvaise conscience de tous ceux qui se sentent mis en cause par son engagement en faveur du climat. Mais qu’est-ce qui explique un tel déchaînement de haine ? Eclairage avec un psychologue et un sociologue.

Ils sont fort nombreux à redouter « le phénomène » Greta Thunberg, et à le dire haut et fort chaque jour qui passe sur les réseaux sociaux ou les plateaux de télévision. L’adolescente de 16 ans se retrouve au cœur de tous les débats, incitant nombre d’éditorialistes-polémistes à « discuter » (euphémisme) sa jeunesse, son combat, son intervention à l’ONU… Quitte à s’autoriser à l’affubler de qualificatifs insultants, comme le note cet article de Télérama (« irrationnelle », « illettrée », « louche », « ridicule », « sadique », « fanatisée », « totalitaire ») ou à commettre des tweets pour le moins douteux. Mais quels sont les ressorts sous-jacents de cette ire ?

Pour le psychologue Samuel Dock*, sollicité par LCI, la coupe est pleine : « Nous autres psys utilisons parfois le test de Rorschach pour révéler, par le biais de la projection, la structure inconsciente, certains contenus psychiques, l’image du corps. Question projection, Greta Thunberg permet surtout celle de la discrimination sur le physique, de l’agisme, des conflits de classes et de générations, du sexisme, de la misogynie, des clichés de genre, des représentations les plus infectes de l’autisme, de fantasmagories pédophiles, de la culture du viol et j’en passe. C’est assez pratique au fond pour prendre conscience de l’abjection de certains individus et de la panade dans laquelle nous sommes actuellement. »

Proie des baby-boomers

Qu’est-ce qui explique une telle surenchère d’épithètes durs à encaisser pour qualifier une adolescente qui a le malheur de croire en ce qui l’anime ? D’après le sociologue Rémy Oudghiri, également contacté par LCI, s’exprime, derrière toutes les réactions dépréciatives à son endroit, une question de génération : « Beaucoup parmi ceux qui la critiquent sont des baby-boomers. Ils ont vécu sous le règne triomphant de la consommation hédoniste. Ils pressentent que la crise environnementale que nous connaissons aujourd’hui en découle en partie. Greta Thunberg les oblige à affronter en face cette vérité et leur part de responsabilité dans ce qu’elle décrit comme un désastre écologique. Ce n’est pas toujours facile à assumer. »

Greta Thunberg incarne « quelque chose de l’ordre du surmoi » pour le psychologue : « Greta Thunberg agit comme une instance psychique nous fixant de nouveaux interdits et de nouvelles limites. Un peu à la manière d’une religion jouant un rôle de régulation sociale. Or, dans une société de pleine jouissance, on n’aime pas que quiconque vienne fixer des limites. »

Plus que de son message, les médias s’intéressent surtout à la manière dont Greta Thunberg s’exprime, martèle de façon presque théâtrale son message et au final, davantage à l’image qu’elle renvoie qu’au combat qu’elle mène : « Ce qui peut énerver, même les écolos, puisqu’on parle de civilisation, c’est qu’il s’agit d’un discours », déplore Samuel Dock. « On pourrait lui reprocher à elle, comme à ses détracteurs et à ses partisans, le fait qu’il ne soit question que d’image. »

En découle une vraie ambivalence : « On est désarçonnés par la surexposition médiatique de cette jeune femme qui se tient face à nous, de la même façon qu’on est fascinés par le fait qu’elle représente tout ce que le patriarcat déteste : c’est une jeune femme, indocile à cette société, venant expliquer à des plus vieux ce qui doit être fait. Et, on le voit bien dans toutes les réactions qu’elle génère, elle est extrêmement sexualisée. » Une misogynie également constatée par Rémy Oudghiri, « notamment quand certains attaquent son recours à l’émotion, ou qu’ils critiquent le fait qu’elle pleure. »

Un refus de la séduction qui terrorise

Ce qui revient souvent dans les commentaires dépréciatifs, c’est son refus de la politesse béni-oui-oui comme de la séduction cool : « Il y a chez elle un réel brut et violent qui nécessite presque chez celui qui l’écoute de se protéger, pour protéger son système mythique de valeurs mais aussi pour se protéger émotionnellement contre cet assaut. En cela, on peut se demander si elle ne manque pas de pédagogie mais on peut aussi se demander si l’urgence de la situation qu’elle décrit permet de mettre en place cette pédagogie. » En d’autres termes, ceux qui se sentent mis en cause devinent qu’elle ne va pas lâcher prise aussi aisément. On sent qu’elle est là pour longtemps, et c’est cela qui irrite.

De là à dire que l’obstination de Greta Thunberg renvoie à l’inconstance de notre société sur ces sujets ? Pour le sociologue, pas de doute possible : « Ceux qui la critiquent étaient habitués aux déclarations alarmistes mais ponctuelles sur le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité, la pollution des océans, etc. Celles-ci, même quand elles étaient formulées de façon dramatiques, disparaissaient dans le flux de l’information. Elles étaient dérangeantes sur le moment, mais l’actualité se chargeait très vite de tourner la page, elles représentaient une information parmi tant d’autres. Le contexte a changé. Mais surtout, avec Greta Thunberg, il y a une obstination, un sérieux mis dans l’engagement qui dérange. Comme ce ne sont pas de minces sujets et que les enjeux sont importants, les postures ont tendance à se radicaliser. »

Une vision tragique de l’avenir « peu vendeuse »

Au-delà même de la rhétorique, le vrai problème pourrait bien être en profondeur, à savoir qu’une partie du monde économique se sent mis en cause par le discours radical de la jeune Suédoise. Comme le note Rémy Oudghiri, « certains acteurs économiques ont besoin de discours positifs pour continuer à vendre leurs produits ou leurs services aux jeunes générations. Greta Thunberg est un danger pour eux, car elle est porteuse d’une vision tragique de l’avenir. Du fait de son jeune âge, elle peut directement influencer sa propre génération au sein de laquelle on trouve une partie des clients qu’ils ciblent. Or, la consommation est une cible dans ses prises de position. Si les jeunes cessent de consommer, il y a un risque économique fort pour de nombreuses catégories de produits. D’où cette réaction exacerbée chez certains. »

 

S’ajoutent tous ceux qui se considèrent comme les représentants de l’autorité ou les tenants d’un savoir vertical : « Ceux-là estiment que Greta est une adolescente qui n’est pas encore diplômée, qu’elle ne possède pas les compétences requises et qu’elle n’est donc pas légitime pour donner des leçons aux plus anciens », poursuit Rémy Oudghiri. « À travers Greta Thunberg, il y a donc une bataille qui se joue entre le savoir traditionnel, vertical, et les nouveaux savoirs issus des nouveaux influenceurs souvent très jeunes, comme Greta, porteurs de visions plus concrètes et plus horizontales. »

Au final, trois batailles se jouent autour de Greta Thunberg : une bataille des générations, une bataille économique et une bataille du statut du savoir dans le monde contemporain. « Et peut-être aussi, à travers elle, à travers son jeune âge, on éprouve une peur de l’avenir, une crainte à l’égard de cette jeunesse qui montre du doigt le ciel où les nuages sombres s’amoncellent, quand l’idiot, lui, ne voudrait regarder que le doigt », conclut le sociologue.

* Samuel Dock est l’auteur d’Éloge indocile de la psychanalyse (éd. Philippe Rey).

 

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