Merci à Romain Le Vern. L’article est ici
On s’en réjouit : de plus en plus de jeunes mus par une conscience écologique sortent dans la rue pour appeler à lutter contre le réchauffement climatique. Mais cet engagement salutaire est aussi l’arbre qui cache la forêt : une anxiété climatique galopante chez les adolescents.
Invité de FranceInfo jeudi matin, le photographe Yann Arthus-Bertrand a illustré ce phénomène en rapportant une anecdote : « J’ai récemment fait une conférence dans une école et un garçon m’a demandé : ‘Monsieur, c’est quand la fin du monde ?’, a raconté le défenseur de la planète. ( ) Interloqué, j’ai alors demandé aux autres enfants si eux aussi croyaient en la fin du monde. Eh bien, 70% de bras se sont levés ! »
Rien d’étonnant à cette « croyance » pour Samuel Dock, psychologue pour adolescents. Il se dit régulièrement confronté chez ses jeunes patients à cette nouvelle forme vivace d’anxiété écologique : « Le fait de grandir et d’évoluer dans une société qui présente autant d’informations catastrophiques et catastrophistes sur le climat finit par provoquer des réactions d’angoisse et de détresse. Affirmer sans relâche que notre lieu de vie va se porter de plus en plus mal dans les prochaines années finit par contaminer les jeunes générations, qui ne voient aucun encouragement à lutter, ne perçoivent aucun espoir et envisagent alors très sérieusement la réalité d’une fin du monde devant eux. »
Au-delà de cette dimension anxiogène, d’autres paramètres expliquent ce genre de réactions : « Quand j’entends mes patients, je note un vrai glissement civilisationnel, poursuit-il. Dans leur anxiété, il y a toujours un rapport à la culpabilité, inhérent à nos sociétés occidentales où une très grande responsabilité pèse sur chaque individu, comme si le simple fait de laisser couler l’eau lorsqu’on se lave les dents faisait de nous un ‘planéticide’. Les jeunes ont évolué dans un monde où quoi qu’ils fassent, c’est foutu : ils n’en feront jamais assez pour sauver la Terre, comme castrés dans leurs possibilités écologiques, impuissants à changer la situation. »
Fantasme de l’apocalypse
On peut aussi analyser un tel conflit psychique avec une grille de lecture plus psychanalytique : « Cette culpabilisation réside dans le fait que nous sommes l’espèce ayant menacé la Terre, le vaisseau-mère (soit Gaïa). En résulte un surmoi : une intense culpabilité pouvant conduire au masochisme moral. » Un esprit qui entre en collision avec l’idéal de post-modernité auquel la société aspire avec du confort, de la jouissance, de la performance. « Prenons l’exemple de la canicule, on a l’impression de vivre quelque chose d’insurmontable », constate le psychologue. « C’est à ce moment-là que le fantasme de fin du monde s’incarne, que l’angoisse de ressentir de la détresse en l’absence de la mère (la Terre donc) trouve sa raison d’être et se renforce. »
Une anxiété climatique qui dépasse donc la simple question de l’écologie : « Bien sûr, des signaux d’environnement se révèlent effrayants, mais pour autant, c’est avant tout la perte de cet environnement maternel et maternant qui est responsable de cette anxiété écologique, tout simplement parce qu’on a peur qu’il nous soit arraché. »
Un désenchantement aussi face à l’évolution : « Notre espèce a beaucoup misé sur les progrès technologiques pour lui permettre de s’humaniser, de se développer. Or, ce que l’on croyait être des progrès n’en sont pas ; au contraire, on passe à côté de l’essence même des choses, de notre environnement, de la nature de ce qui nous permet de survivre. Les jeunes déplorent par ailleurs que des entreprises puissantes ne fassent rien pour résoudre le problème, et par extension regrettent un monde mercantile qui noie l’humain sous des injonctions à acheter des objets inutiles et le détourne de l’essentiel. »
Pour le psychologue, les jeunes générations ont instantanément grandi dans le champ de la pulsion de mort, « comme en témoigne ce fantasme autour de l’extinction de notre espèce que l’on intègre dans une symbolique vivante ». Et il voit ainsi, de fait, pour reprendre les termes de l’anthropologue David Le Breton, une « héroïsation du quotidien » : « Ces jeunes sont comme investis d’une mission, ils doivent se comporter comme les héros de leur vie parce qu’on leur répète que tout est grave, dans la vie comme au cinéma (les productions hollywoodiennes jouant incidemment sur ce sentiment imminent d’apocalypse depuis des années). Alors ils imaginent la fin, ils rêvent d’une apocalypse qui pourrait les, et nous, libérer. »