LCI :Cloîtrés dans leur chambre, sans projet : pourquoi le phénomène des « hikikomoris » commence à toucher la France

Un article de Romain Le Vern disponible ici 

SOLITUDE 3.0 – Le terme « hikikomori » désigne les jeunes Japonais vivant reclus chez eux et refusant le contact avec l’extérieur. Un phénomène avant tout culturel et sociologique qui, s’il a émergé dans les années 90 dans l’Archipel nippon, tend désormais à se répandre dans les sociétés occidentales.

Ils vivent reclus chez eux, loin de la foule et sont un demi-million au Japon. Ce sont les « hikikomoris », ces jeunes hommes et femmes vivant chez eux en ermites, sans mettre le nez dehors pendant plusieurs mois, dialoguant avec l’extérieur via Internet, refusant d’aller à l’école ou au travail et ayant pour seuls contacts humains les membres de leur famille. Soit « des personnes retranchées en elles-mêmes, agrippées à leur écran, suspendues à leurs besoins primaires et perdant tout contact avec le monde extérieur », nous résume le psychologue pour adolescents Samuel Dock, auteur de Punchlines des ados chez le psy. Selon lui, « pour le hikikomori, il ne s’agit pas de mourir mais de suspendre le temps. Mais ce faisant il oublie de vivre, il se consume, disparaît… » Une « réclusion à domicile » qui a émergé dans les années 90 au pays du Soleil Levant, mais qui commence désormais à gangrener les sociétés souffrant d’ultra-moderne solitude.

En France, les médias en parlent de plus en plus, face à la crainte d’une contamination, mais il semble encore trop tôt pour parler véritablement de « hikikomoris hexagonaux », même si des groupes sur les réseaux sociaux leur sont consacrés. Un membre explique sa présence en ces lieux : « Quand on a vécu tellement d’exclusion que l’on s’exclut soi-même, il est parfois bon de relâcher la pression en partageant avec d’autres personnes comme nous. »

Pour Samuel Dock, « nous commençons à observer des manifestations symptomatiques de ce type en France, malgré nos différences culturelles avec le Japon. Mais si certaines de nos pathologies mentales y ressemblent, ce n’est pas encore pleinement le cas. »

Réclusion à domicile

Dans le livre Hikikomori, ces adolescents en retrait qu’elle a coécrit en 2014 avec Maïa Fansten, Cristina Figueiredo et Nancy Pionnié-Dax, la psychanalyste Natacha Vellut, sollicitée par LCI, note que si ce phénomène reste peu connu dans l’Hexagone, c’est parce qu’il n’est pas visible donc pas assimilé. « On le perçoit principalement à travers d’autres catégories existantes : sous l’angle de la déscolarisation, du décrochage scolaire ou, en termes psychopathologiques, à partir des catégories de phobie scolaire ou de refus scolaire, ou plus généralement de phobie sociale. »

Or, ce qu’expriment les « hikikomoris », et ce qui explique pourquoi ce terme pourrait s’imposer dans toutes les sociétés occidentales, se révèle plus complexe que ces simples paramètres, en lien direct avec les convulsions sociales. Au Japon, c’est avant tout le rejet radical des normes comme des injonctions, l’aversion pour la figure de l’individu autonome et performant proposé par un univers matérialiste qui sont en cause. Dans les faits, le hikikomori réclame le lien social mais, comme vaincu à l’avance qu’il n’existe pas, ne fait plus le geste d’aller vers lui : « Ce qui caractérise le hikikomori, c’est le refus passif de la société comme elle est, avec un repli sur la sphère intime, comme refuge, comme valeur sûre, poursuit Natacha Vellut. Il met en valeur le fait que le lien social ne fonctionne pas, ne marche pas ». Une souffrance « plus culturelle et sociologique que pathologique », notamment popularisée par les mangas et le cinéma japonais, que de plus en plus de jeunes connaissent aujourd’hui en France.

Au Japon, ces personnes sont clairement nommées, prises en charge. Le ministre de la Santé a même, pour l’année 2018, demandé l’équivalent de 20 millions d’euros de crédits pour aider les hikikomoris à retourner dans « le droit chemin ». La plupart finissent en effet par sortir de cette forme de solitude, au bout de quelques mois ou de quelques années (le record est de près de 20 ans !). Mais en France, sommes-nous préparés à cette nouvelle forme de solitude ? « Sur un plan thérapeutique, il faut nous réinventer, estime Samuel Dock. Tout simplement parce que ces patients-là vivent reclus et donc ne viendront pas en consultation, ils réagiront très mal à l’aide contrainte. Il faut aller auprès d’eux, progressivement, doucement, et restaurer le contact à l’autre, une parole qui peu à peu les ramènera au monde, à la vie. »

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