L’article est disponible ici. Merci à Lydia Menez et Kahina Boudjidj.
Samuel Dock : « C’est le monde qui fait sa crise d’adolescence ».
Déstigmatiser les ados n’est pas chose facile mais Samuel Dock nous livre un vent de fraîcheur et ça fait du bien !
Samuel Dock a plus d’une corde à son arc : psychologue clinicien, écrivain et actuellement en pleine thèse en psychanalyse et en psychopathologie. Il nous a raconté que son dernier livre, Punchlines des ados chez le psy, est né lors de séances avec ses patients et il nous a expliqué : « Il est arrivé que je sois extrêmement frappé par l’intelligence des remarques de mes patients, par leurs punchlines, alors je les écrivais pour les garder. J’en mettais aussi sur mes réseaux sociaux en disant ‘Regardez ils sont vraiment extra ces ados’ et à chaque fois les personnes réagissaient en me disant ‘Il faut en faire un livre’. Finalement, je me suis dit pourquoi pas et c’est comme ça que l’aventure a commencé !» Twenty lui a posé quelques questions pour pouvoir tirer le portrait des ados dont on parle tant mais qui ne sont pas toujours bien compris.
Twenty : Vous êtes connu pour vos livres Le choc des générations et Le nouveau malaise dans la civilisation. Était-ce une de vos envies, de faire un livre plus léger, plus accessible ?
Samuel Dock : En effet. J’avais vraiment envie de m’adresser à un plus large public, par désir de transmission. Je voulais montrer que la psychanalyse s’adresse à tout le monde. J’avais aussi comme objectif d’écrire un livre qui casse l’image des ados, tout comme celle des psychologues ! Au final, ce livre change totalement de ce que j’ai pu faire avant. J’ai un univers assez dark mais Punchlines est plus optimiste, plus solaire.
Twenty : « Jeunes personnes brouillées », « indistinctes », « créatures étranges ». Pourquoi a-t-on cette perception des ados ? Est-ce justement cliché de dire que cette image nous est renvoyée par les médias ?
Samuel Dock : Je ne pense pas que les médias renvoient cette image des ados. Quand je parle de médias, je pense aux médias journalistiques mais aussi aux productions culturelles. Par exemple, 13 reasons why, The end of the fucking world…. Ces séries démontent le cliché des ados. Je pense qu’on a cette représentation négative principalement à cause de la vision des parents. Il me semble que l’ado dérange à cause de sa parole et il faut savoir qu’il a une grande acuité à l’égard des transformations familiales, sociales, etc. Il dérange aussi parce qu’il nous renvoie à notre propre deuil de l’enfance. Dolto disait « Ce que la première génération ne dit pas, la seconde la porte dans son corps » et je trouve que c’est extrêmement vrai.
Twenty : Justement, vous parlez de 13 reasons why, que pensez-vous de cette série ?
Samuel Dock : Je suis partagé. D’un côté, j’ai l’impression que cette série arrive bien à retranscrire la souffrance adolescente. Mais d’un autre coté, certaines choses me dérangent, comme la plainte pour viol qui n’aboutit à rien dans la saison 2. Quel message envoie-t-on ? Qu’il ne faut pas se mobiliser ? L’adolescence est un âge où on est fragile sur nos représentations. Je trouve qu’on ne leur montre pas assez les ressources dont ils peuvent bénéficier…
Twenty : Discuter de 13 Reasons why ou de Game of Thrones pour amener un patient à parler de lui, ça fonctionne souvent ?
Samuel Dock : Oui. C’est un bon point de départ pour que le patient s’ouvre. Petite anecdote : au début de ma pratique, j’avais un patient qui refusait de parler. Je savais qu’il était fan de jeux vidéo, alors à chaque fois je venais avec des tee-shirts Fallout, Skyrim et petit à petit, j’ai réussi à tisser un lien de confiance avec lui.
Twenty : Quel genre d’ado étiez-vous ?
Samuel Dock : J’étais un ado très borderline, explosif, révolté, critique et sensible. J’ai gardé de mon adolescence un goût prononcé pour la justice.
Twenty : La révolte est elle l’apanage de l’adolescence ?
Samuel Dock : Oui et non. Dans notre société de l’image, la révolte se fait derrière un écran. Dénoncer quelque chose sur les réseaux, ne pas en voir l’impact, ça s’épuise vite. Il y a un risque d’anesthésie de la révolte. Les ados en 2018 sont des activistes frustrés.
Twenty : On peut lire cette punchline dans votre livre : « Entre nous, j’espère que ma thérapie marche mieux que votre imprimante ». L’humour serait-il l’échappatoire des adolescents ? Un moyen de ne pas se dévoiler complètement ?
Samuel Dock : Pour moi, l’humour est une manière de dire les choses autrement, de sublimer certaines détresses. Au-delà de cette phrase, on peut comprendre qu’il place un certain espoir dans cette thérapie, qu’il veut que ça marche. C’est ça le message du livre : essayez d’avoir une lecture plus fine des comportements de vos adolescents.
Twenty : « Je veux que vous m’aidiez à résoudre mon principal problème : séduire les filles ! » De ce que vous avez pu constater pendant vos consultations, quels sont les rapports entres les jeunes filles et garçons ?
Samuel Dock : Il y a une représentation sociale très courante qui veut que les adolescents soient des obsédés sexuels, que le porno façonne leur rapport à la sexualité…. J’ai remarqué que les ados aujourd’hui étaient plus intéressés par le fait de se mettre en couple que par le fait d’avoir des rapports sexuels. Certes, ils sont plus décomplexés que la génération précédente, mais les enjeux sont les mêmes. Ils veulent se construire et s’épanouir.
Twenty : Trouvez-vous que cette génération est beaucoup plus éveillée par rapport à tout ce qui est question de genre, de féminisme ?
Samuel Dock : Oui, je la trouve beaucoup plus ouverte et tolérante, en tout cas pour les patients que je reçois et pourtant une partie importante de mon activité clinique se fait auprès de populations dites « difficiles ». Si on faisait attention aux clichés, on aurait pu s’attendre à ce qu’il y ait plus d’intolérance alors qu’en réalité ce ne sont que des idées reçues.
Twenty : D’après vous, pourquoi les jeunes sont-ils autant stigmatisés ?
Samuel Dock : Je pense que c’est parce que c’est plus facile de leur faire porter nos incompétences, nos fragilités, nos vulnérabilités et que si certaines choses se passent mal c’est plus simple d’accuser les générations futures. Par exemple, sur la question du climat, je lisais l’autre jour sur Facebook, « On a montré à des enfants dans un aquarium l’océan du futur avec des sacs poubelles à l’intérieur et les enfants ont pleuré » et dans les commentaires de cette publication certains disaient « C’est sur cette génération qu’il faut compter ». Il ne faut surtout pas leur faire porter ce fardeau. Arrêtons avec la fiction des générations ultérieures, arrêtons de leur coller nos échecs sur le dos, arrêtons de penser à ce qu’ils devront faire ou non demain. Pensons plutôt à ce que nous pouvons faire maintenant et pas dans un futur lointain ou imaginaire. Il faut casser la chaine générationnelle, cessons de repousser l’échéance ! Je pense vraiment que cette génération en mutation représente un bouc émissaire idéal et à chaque changement de génération, c’est pareil. On fait trop porter aux générations le poids de nos civilisations.
Twenty : Quel est le cliché qui se révèle le plus véridique sur notre génération ?
Samuel Dock : Je dirais que l’idée reçue qu’ils sont « Accros au portable » est relativement vraie. Le portable leur sert parfois de façade, c’est un moyen de négocier certaines périodes de leur vie qui sont plus faciles à traverser lorsqu’on y objecte le filtre de l’écran. Il y a un autre cliché qui me semble important et plutôt véridique : les parents ne comprennent pas leurs ados. Ils sont parfois incapables d’accompagner leurs ados quand ils vont ou se sentent mal. C’est tout de même assez cocasse que le cliché le plus vrai ne concerne pas les ados mais leurs parents ! Je pense que les ados sont incompris parce qu’on ne fait tout simplement pas l’effort de les comprendre. Il me semble même que c’est parce que les parents ne se comprennent pas eux-mêmes ou ne se sont pas sentis compris pendant leur adolescence.
Twenty : Le plus faux ?
Samuel Dock : « Les ados ne lisent pas ». C’est totalement faux parce que j’ai de nombreux patients qui lisent énormément, qui s’intéressent vraiment à la culture et cherchent sans cesse à apprendre de nouvelles choses. Il y a aussi « Les ados et la thérapie, ça ne marche pas ». C’est un gros cliché et je crois sincèrement que l’on peut aider les ados et qu’ils peuvent être très preneurs de l’espace thérapeutique. On peut également citer « Les ados ne sont pas créatifs » qui est très inexacte parce qu’ils ont justement besoin de cette créativité pour nourrir leur psychisme et ils savent très bien utiliser tous les médias leur permettant d’y donner libre cours. Enfin, il y a « Les ados ne savent pas ce que c’est qu’un psy ». Ils savent très bien ce que c’est, il faut arrêter les clichés.
Twenty : Est-ce une fatalité d’être un ado qui se sent mal dans sa peau ?
Samuel Dock : Bien sûr que non, il y a des ados qui ont été très bien entourés, compris et « sécurisés » durant l’enfance et qui arrivent tout de même à trouver dans leurs sphères sociale et scolaire de quoi se révolter et c’est tant mieux car il est important de se révolter à l’adolescence. Ils arrivent à se révolter contre leurs parents, contre le système, contre la finitude humaine ou que sais-je encore, ils parviennent en définitive à dire ce qu’ils pensent sans forcément que la relation explose. Cela dit, le fait qu’une personne ne soit absolument pas en crise ou en rébellion et dans l’acceptation de tout, peut parfois être le symptôme d’un malaise plus grand. Alors non, ce n’est pas une fatalité d’être un adolescent explosif.
Twenty : On dit parfois que l’adolescence est une création de la culture occidentale, notamment à travers l’image de l’ado en crise qui nous est renvoyée à travers les films ou les livres. Qu’en pensez-vous ?
Samuel Dock : Je pense que la crise d’ado recoupe des réalités sociologique, psychologique et anthropologique extrêmement différentes d’un auteur à un autre, d’un ado à un autre, d’une société à l’autre, mais moi ce qui me dérange, c’est le mot « crise ». Etre ado ce n’est pas seulement faire le deuil de l’enfance, c’est aussi penser à l’adulte que l’on sera, penser à son avenir. J’avais un patient qui me disait « Je n’ai pas peur de quitter l’enfance mais j’ai peur de devenir un adulte comme mes parents et de reproduire les mêmes erreurs.» C’est pour ça que je dis que le mot crise me dérange un petit peu, parce que crise pour qui ? Pour eux ? Ou plutôt pour nous qui n’arrivons pas à accueillir leur parole ? Je dirais qu’il y a une véritable crise quand il y a mise en danger, quand la transformation à la puberté se manifeste par exemple par des troubles du comportement alimentaire, par de la violence envers soi-même et envers les autres. Je pense qu’il faut entendre le mot crise en tant que « moment critique ». Bien sûr, l’adolescence est un moment important où l’individu doit se responsabiliser, développer son autonomie tout en faisant face à des angoisses importantes et à l’image du corps qui change; à une forme de révolution du psychisme.
Twenty : Quel est le portrait robot de l’adolescent en 2018 ?
Samuel Dock : Pour moi, et sans faire de généralités, je pense que l’ado en 2018 a du mal à trouver un étayage dans un monde en crise, en perte de sens et en manque de repères. Il ne dispose pas assez de ressources concrètes, notamment institutionnelles et éducatives, pour réussir à s’individualiser, à s’humaniser, à se singulariser alors qu’à cette âge là on bénéficie d’une énergie extraordinaire. On me dit souvent « Les ados s’ennuient » et je leur demande « Qu’est-ce que vous faites pour qu’ils ne s’ennuient plus ? » Et là souvent c’est le blanc et on ne sait pas me répondre. Le rôle des parents dans tout ça c’est vraiment de pouvoir accompagner leurs ados, sans pour autant qu’il y ait intrusion dans leurs vies. Il faut trouver ce juste équilibre pour pouvoir négocier la séparation.
Twenty : Quel est le message principal que vous avez voulu faire passer à travers votre livre ?
Samuel Dock : Apprenez à écouter les ados et souvenez-vous de l’ado que vous avez été. On a tous été ados et surtout on est tous humains, on a tous nos forces et nos fragilités. Les enfants ne doivent pas idéaliser leurs parents, ce sont des personnes comme vous et moi et inversement les parents doivent effacer de leur imaginaire l’ado qu’ils idéalisent et pour cela ils doivent comprendre pourquoi et comment ils en sont arrivés à cette construction fantasmatique, de quoi leur enfant est dépositaire. Et, au final, comme un de mes patients a dit « C’est le monde qui fait sa crise d’adolescence ».
Twenty : Quelle est votre punchline préférée ?
Samuel Dock : « Il y a trois âges de la vie. Premier âge : bébé. Deuxième âge : enfant. Troisième âge : tout le reste, les vieux. Vieux du côté de la vie ou vieux du côté de la mort. Vous, vous êtes encore un peu du côté de la vie. »
Notre Punchline préférée :
- « Qu’on se le dise, moi je connais des gars qui rigolent pas, on traîne ensemble en bas de chez nous. J’ai des relations, moi.
- Heu… Dans le XVIè arrondissement ?
- La banlieue n’a pas de frontières, Monsieur Dock. »