Merci à Romain Le Vern. L’article original est disponible ici
Samuel Dock est psychologue clinicien et écrivain. Il vient de publier Punchlines, des ados chez le psy(First) ouvrage où il réunit les phrases chocs de ses patients âgés de 12 à 19 ans. Nous lui avons demandé de nous parler de ses cinq films sur l’adolescence préférés.
« Bon, je ne mettrai pas la trilogie Pitch Perfect mais il faut l’admettre, ce sont sans conteste les films préférés de mes patientes adolescentes ! Ça me rappelle un échange avec l’une d’entre elle, âgée de treize ans:
– Dites, vous connaissez les films Pitch Perfect ?
– Oui, oui.
– A votre âge ? (j’ai accepté, depuis que je bosse avec des ados, à trente ans, de passer pour vieux)
– Oui.
– Ok alors c’est laquelle votre chanson préférée ?
– Heu…De mémoire j’aimais bien la reprise de « Just the Way you are », de Bruno Mars.
– Un vrai fan aurait pas dit celle-là.
– Je n’ai jamais prétendu être fan.
– Il faut assumer.
Mais venons-en à notre sujet !
Thirteen. Catherine Hardwick (2003). Un des films les plus justes et les plus complets sur l’adolescence (et non, être fan d’Evan Rachel Woods ne m’influence pas du tout !). La façon dont des conflits familiaux anciens prennent un sens nouveau, s ‘embrasent avec la puberté, la quête d’identification et le testing des limites au risque de s’abîmer, la tentative de donner forme aux transformations de l’identité d’abord dans des agirs et puis par des formes créatives, la redéfinition de la relation aux parents et leur impuissance parfois à trouver la juste distance avec leurs enfants et à dialoguer avec eux, ce film permet vraiment d’appréhender ce qu’est l’adolescence, cette étape fondamentale de l’existence où il s’agit de mourir à l’enfance pour advenir en tant qu’adulte. On découvre quelques-unes des blessures que l’on peut s’infliger dans ce processus délicat.
Donnie Darko. Richard Kelly (2001). Accessoirement, un de mes films favoris ! Quand j’étais adolescent, je me rappelle combien je m’identifiais au personnage de Donnie, combien je comprenais son cynisme, le regard qu’il porte sur le monde, son idéalisme, ses conflits avec sa famille…Ce qui me semble très juste, c’est la quête de sens pour réenchanter un monde qui a perdu de sa saveur maintenant qu’un paquet d’illusions infantiles sont mortes. A côté de ces axes, un autre évoqué plus secondairement, mais qui me semble très important : l’irruption de la « folie » à l’adolescence, lorsque les parents réalisent, petit à petit, que ce qu’ils espéraient une « crise » passagère semble vouée à se prolonger dans le temps, à altérer le devenir adulte de leur enfant. Si l’adolescence confronte nécessairement l’ado et ses parents à un deuil, celui-ci est bien plus douloureux et compliqué à traverser.
It Follows. David Robert Mitchell (2015). Le principe du film : une entité meurtrière poursuit (en marchant mais sans jamais s’arrêter et elle peut prendre la forme de n’importe qui) la personne qui a eu un rapport sexuel avec celle qui était suivie auparavant (est-ce bien clair ?). S’il faut bien sûr y voir une métaphore articulée autour des IST, le film lève également le voile sur les états crépusculaires, le sentiment d’inquiétante étrangeté que peuvent rencontrer certains adolescents tandis que le corps change, que les pensées évoluent, que l’intérieur et l’extérieur se confondent parfois, que les limites se brouillent…J’ai aimé cette esthétique qui m’a rappelé le travail du photographe Gregory Crewdson et qui sert parfaitement cette atmosphère où l’on ressent ce mélange d’angoisse, de mélancolie et d’indifférence de l’adolescent face à la finitude : il faut vivre tout de suite mais que faire ? Comment être vivant quand le péril est si grand et que l’énergie et les possibilités de bouger sont si limitées? D’ailleurs, mention spéciale aux citations de L’Idiot qui jalonnent tout le film. Un bijou.
The Quiet. Jamie Babbit (2005). Ce film explore principalement la thématique de l’inceste à l’adolescence mais il parle aussi de la solidarité, de l’appui que les ados peuvent trouver auprès de leurs amis. Une scène m’a marqué, celle où il y a ce plan sur le visage de la mère tandis que sa fille se fait agressée à l’étage au-dessus, dans son expression on lit parfaitement le clivage qui s’opère en elle : une partie de son être sait parfaitement le drame qui se joue à quelque mètres d’elle, l’autre le dénie totalement. J’ai déjà remarqué ce clivage chez certaines mères dont j’accompagnais les enfants victimes. Ce film présente avec beaucoup d’intelligence la manière dont les traumas évoluent à l’adolescence…Et la naissance de la révolte. Dans une même optique, j’ai tout de même hésité, je l’avoue, avec Mysterious skin de Greg Araki (2005).
The Life before a eyes. Vadim Perelman (2008). Eh oui encore un film avec Evan Rachel Woods, mais c’est un (heureux) hasard! On dit souvent que l’adolescent doit rompre avec l’enfance pour accéder à l’autonomie, pour transiter de la loi familiale à la loi sociale. En revanche, on dit moins souvent la crainte, pour les adolescents, de ressembler un jour à leurs parents, de reproduire ces erreurs qu’ils observent avec une acuité nouvelle, de trahir dans le futur, par leur choix, la personne qu’ils sont pour l’instant. Ce film s’empare de cette angoisse et l’analyse avec un procédé franchement original (que je ne spoilerai pas). Il retrace la vie de deux adolescentes, leurs affinités, leurs rivalités, leurs amours, et surtout leurs choix et leurs idéaux qui se confrontent à l’affirmation de leur personnalité et à un certain principe de réalité. Peut-on transiger avec notre désir ? Est-ce que grandir implique de renoncer aux choses qui comptent ?
Bon. D’accord. Je ne vous parle que de films assez durs proposant une vision plutôt sombre de l’adolescence. Pour se consoler on regardera Juno, de Jason Reitman (2007) pour apprécier l’humour et l’autodérision du personnage principal et son duo de choc avec son petit copain. Ou pas. »