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Dans les médias, les entreprises, et même dans les familles, partout, on les moque, critique, dénigre… Et qu’ils soient issus de la génération Y ou Z, tous « hallucinent » du sort qu’on leur réserve : pourquoi tant de haine ?
D’où vient cet acharnement à leur encontre qui fait d’eux une génération de « ratés » , de mutants à capuche, gavés de télé-réalité, préférant vivre virtuellement sur YouTube, Facebook, Snapchat, Instagram, Netflix ou Spotify, plutôt que de se cogner à la (triste) réalité ?
Écoutez donc les parents : pour eux, ces jeunes qu’ils ont pourtant engendrés, ne vivent en rien l’âge des « possibles », mais, au contraire, celui de tous les « égarements », tout en se montrant particulièrement orgueilleux, de surcroît ! Rien que des Narcisse à sang froid !
Leur faire ce reproche, c’est faire preuve de mauvaise foi
Disons qu’il y a une évidemment une part de vrai : il est certain que les jeunes avec lesquels nous vivons hésitent de moins en moins à manifester leur point de vue, à s’exprimer de manière « décomplexée ». C’est, en tout cas, un reproche qu’on leur fait de plus en plus souvent : habitués à se répandre sur les réseaux sociaux, ils adoreraient « invectiver ». Même et surtout en famille.
D’où la plainte de certains parents, telle cette mère de famille qui confie ne plus savoir comment s’y prendre :
Je ne sais pas si cela tient au fait que nous les ayons élevées dans l’idée d’une communication constante. Mais j’ai la sensation que mes deux filles sont bien plus dures avec nous que nous ne l’avons jamais été avec nos propres parents. Je les adore, mais qu’est-ce qu’elles sont péremptoires !
Ce que confirme, en partie, la récente enquête nationale « La Grande InvaZion » : selon elle, les natifs de la génération « Z » accordent, en effet, une importance prépondérante à leur personne. Mais doit-on pour autant les voir comme une génération de nombrilistes ? Pas si sûr…
Accorder une importance prépondérante à sa personne n’est-ce pourtant pas le signe patent qu’ils sont très “autocentrés” et donc assez orgueilleux ?
Disons que cela indique surtout que beaucoup s’affranchissent des conventions pour s’affirmer sans attendre d’assentiment. D’une certaine manière, on peut donc dire que la génération « selfies » est sûrement plus culottée que présomptueuse.
Audacieuse et moins angoissée que celle de leurs parents qui ne cessent de redouter l’avenir, la génération Z a désormais à cœur de fonder ses propres modèles. Et, selon le psychologue spécialiste des adolescents Samuel Dock*, cela les amène à être bien plus créatifs que réellement orgueilleux. Il suffit de jeter un œil sur leurs blogs : la jeunesse de 2017 a soif de créer et de partager.
Beaucoup de jeunes gens d’aujourd’hui s’investissent d’ailleurs dans des pratiques artistiques. Et comme le souligne Samuel Dock :
Ayant bien conscience des possibilités que leur offrent les nouvelles technologies dans ce domaine, ils en profitent pour sublimer leurs tracas, leurs angoisses de mort… Et ils ont bien raison !
Pourquoi sommes-nous si prompts à les juger si sévèrement ? Si le problème ne vient pas d’eux, émane-t-il d’abord de nous ?
Pour les parents et les grands-parents, c’est parfois difficile à admettre. Mais dans le fond, peut-être pouvons-nous essayer de le reconnaître : si nous dénigrons si volontiers la génération de nos enfants, c’est surtout, comme le rappelle Samuel Dock, parce qu’il nous est plus facile, et moins culpabilisant, de nous attaquer à eux… plutôt que d’interroger le surinvestissement affectif et matériel dans lequel nous les avons élevé.
Combien d’entre nous ont rêvé et voulu des « petits » capables de jouir de la vie comme ils n’ont pas pu le faire ? Pas étonnant qu’il y ait une déception : nos « créatures” ne ressemblent, en effet, en rien à ce que nous avions imaginé, à cet “idéal” qui reste évidemment manqué. Mais peut-être est-il temps de nous réveiller, d’admettre, de consentir. Car les milléniaux ne sont pas l’avenir de notre société, ils en sont déjà les principaux acteurs.
Il serait donc temps de l’admettre en changeant notre regard et nos représentations. Le monde est à un point de bascule, mais la crainte ultime de tout jeune reste la même : qu’on le laisse tomber.
Ou bien qu’on baisse les bras trop vite… Ne serait-il donc pas plus malin de leur dire qu’on les kiffe malgré tout, et que l’on souhaite, côte à côte, retrouver le goût de l’avenir ?
► *Samuel Dock est psychologue clinicien, spécialiste des adolescents, coauteur, avec Marie-France Castarède, de Le nouveau malaise dans la civilisation, éd. Plon (2017).